Auteur : Pierre FEUERSTEIN
La presse régionale, dont l'objet même est de parler des autres, n'aime guère faire parler d'elle. On cherchera vainement, sur les rayons de nos bibliothèques, une étude approfondie portant sur l'un quelconque de nos quotidiens de province. La parution de ce livre représente donc une « première » dans ce domaine. Rien ne prédestinait La Montagne, lors de sa création en 1919 par Alexandre Varenne, à devenir le grand journal que nous connaissons aujourd'hui. Simple feuille d'opinion socialiste à ses débuts, parmi tant d'autres, elle a su profiter des circonstances, de la faiblesse de ses concurrents et de leur compromission avec le Pouvoir sous l'Occupation pour rester seule dans le Puy-de-Dôme dès 1965, date de la disparition de La Liberté. Sa marche en avant sera dès lors irrésistible, qui lui permettra d'affirmer sa prédominance dans plusieurs départements du centre de la France, grâce à la conquête de trois quotidiens : Le Populaire du centre, à Limoges, Le journal du Centre, à Nevers, et Le Berry Républicain, à Bourges. C'est un important travail de recherche, mené pendant plusieurs années qui a abouti à la rédaction de ce livre, complété par une véritable « radioscopie » du journal, vu de l'intérieur, et une étude de quelques uns des grands sujets qui passionnent l'opinion à propos de la presse : les journalistes sont-ils libres et objectifs, quels sont les rapports de La Montagne avec la politique, comment aborde-t-elle les problèmes de notre société actuelle, comment remplit-elle son rôle de « service public », comment est-elle jugée par ses lecteurs, quel est son avenir ? Autant de questions difficiles à aborder, et qui sont traitées sans complaisance aucune. L'auteur s'est voulu libre à tous égards après quarante années consacrées à un métier passionnant. Peut-être ce travail contribuera-t-il à mieux faire connaître au lecteur le cadre dans lequel évolue tout journaliste, cadre fait de grandeur parfois, de servitudes toujours.
EXTRAIT
LE RÔLE DES HOMMES
ALEXANDRE VARENNE ET FRANCISQUE FABRE
La naissance et la réussite des grands quotidiens, qu'ils soient parisiens ou de province, ont été marquées la plupart du temps, dans l'histoire, par l'apparition de personnages hors du commun qui les ont voulu et façonné à leur image. Les uns, parce qu'ils étaient d'authentiques gens de plume désireux de faire passer un message et d'incarner une sensibilité politique particulière, les autres parce qu'ils avaient compris que le couronnement de la réussite industrielle ou commerciale passait obligatoirement par la possession d'un journal. Maurice Bunau-Varilla, propriétaire du Matin, sous la IIIème République, n'affirmait-il pas : « Mon fauteuil vaut trois trônes » ? Ils furent nombreux, ceux qui se sentirent irrésistiblement attirés par les sirènes de la presse écrite, et qui rêvèrent de fonder de véritables empires journalistiques, seuls coupables d'étancher leur soif d'influence, par le biais de ce fameux « Quatrième Pouvoir » si redouté des autorités en place, à une époque où la radio et la télévision n'existaient pas.
La province, elle aussi, a connu de tels personnages - d'une envergure moindre, certes - et nombre de grands régionaux n'ont dû leur réussite qu'à la personnalité, au caractère et à la volonté de leurs fondateurs. La Montagne, à cet égard, fournit un parfait exemple de cette personnalisation. C'est la raison pour laquelle nous consacrons ce chapitre à deux hommes au charisme incontestable, et qui sont à l'origine du succès de La Montagne : Alexandre Varenne, son fondateur, et Francisque Fabre, son continuateur, même si le second, pour des raisons commerciales évidentes, a dû abandonner la plus grande partie de l'héritage spirituel qu'il avait recueilli.
