Le petit mange-chèvre - La vie se porte froissée

Éditions CRÉER

En 1945, Gérard Faure allait à l'école au « château »... Son père fut un sacré personnage du Monastier-sur-Gazeille, « Pharmacien au long court » durant cinquante ans. Une étonnante galerie de portraits.

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Description

Auteur : Gérard FAURE

BABELIO AVIS DES LECTEURS 

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À l'image du village gaulois d'Astérix, le Monastier-sur-Gazeille est unique et donc universel. Il a abrité une abbaye célèbre au Moyen Âge dont l'influence s'étendait jusqu'à Turin. Il a inspiré Georges DUBY pour son Temps des Cathédrales et abrité des générations de ruraux et paysans avant que leurs enfants ne soient contraints de devenir des ouvriers voués au chômage dans des banlieues plus ou moins sinistres et que les fermes alentour soient transformées en résidences secondaires. Nous avons tous, au cœur et en mémoire, à travers les existences de nos parents et grands-parents un Monastier inoubliable. Gérard FAURE a vécu celui-là, dont les habitants passaient tous un jour ou l'autre par la pharmacie de son père et il nous le raconte, avec humour et tendresse, au travers d'une enfance comme nos enfants n'en auront plus mais qu'il faut évoquer pour eux : il est né au Monastier et il est devenu journaliste à Paris, jamais il n'a oublié et n'oubliera d'où il vient. Il fut et demeure un petit mange-chèvre, surnom donné aux habitants du Monastier. Gérard FAURE nous livre ses souvenirs d'enfance au milieu de personnages aujourd'hui disparus mais toujours pittoresques.

 

EXTRAIT

I/

J'avais cinq ans, un tablier à carreaux rose et blanc. C'était en 1945, en Haute-Loire, au Monastier-sur-Gazeille. De ce temps-là datent mes premiers vrais souvenirs. Marqués au sceau de la guerre. Mais, alors, pour moi ce mot « guerre » restait une abstraction. Plutôt que le reflet d'une réalité douloureusement vécue ce qui, Dieu merci, n'avait pas été véritablement mon cas. Ce que je savais, que j'avais dû entendre mille fois répété : si tout avait été bien mieux avant la guerre que pendant la guerre, si tout était nettement mieux après la guerre que pendant la guerre, tout avait été mille fois mieux avant la guerre qu'après la guerre.
Je sentais confusément que la guerre avait été un épouvantable gouffre noir. Le miracle était pour moi qu'il n'eût pas englouti ma famille.

Jusqu'à l'âge de sept ans, j'ai donc porté, pour aller à l'école, des tabliers taillés dans un inépuisable coupon ? mais peut-être me semble-t-il si grand que parce que j'étais alors si petit ??  que ma grand-mère maternelle avait donné à ma mère et dans lequel celle-ci avait puisé, au fil du temps, de quoi confectionner quelques tabliers, toujours soigneusement amidonnés, et qu'elle lavait en alternance.
Ma mère avait une horreur maladive des taches et des faux-plis, une obsession maniaque de la propreté. Le rose n'était pas à l'époque une couleur dont on affublait volontiers les petits garçons, mais l'heure était encore à la pénurie dans bien des domaines, notamment vestimentaires. 

Ma mère a souvent raconté l'histoire du costume du Docteur Cornaire, coupé dans un indéfinissable tissu couleur bois de rose ou lie de vin irisé. « Il brillait, il étincelait plutôt, au moindre rayon de soleil. Mais, un jour que nous revenions du Gerbier des Joncs à bicyclette, un orage nous a surpris. En arrivant à la maison, le docteur Cornaire était pratiquement en culottes courtes et sa veste avait rétréci de moitié. Le tissu ne brillait plus, s'est raidi en séchant et a viré au rouge cramoisi moiré ».

La « maison », c'était la pharmacie du Monastier. La pharmacie de mon père, seule et unique pharmacie du village. Et la seule qui put « servir » tous ces gens de la montagne, le Mézenc, le Gerbier des Joncs, la Haute-Ardèche et l'orée de la Lozère.
Elle était ouverte au plein milieu du bourg, dans la longue rue principale, au rez-de-chaussée d'une grande maison construite tout juste avant la guerre et où nous avons toujours vécu, mes parents, mes deux frères et moi. Elle est toujours là, sans mon père, parti en 1981. Toujours là, avec son carrelage noir et blanc, son mobilier de bois verni. Les comptoirs et des rangées de pots en verre ou en faïence. Dans une niche, sur le mur du fond, face à la porte d'entrée, à gauche et à droite du grand comptoir, trônent encore les bustes en plâtre doré d'Esculape et d'Hippocrate. Sur les étiquettes rouge et or de certains pots, les noms, étranges et mystérieux de certains produits : Uratropine, pastilles de Kermès, teinture de Jaborandi, Baume tranquille, feuilles d'armoise, protoxalate de fer, guimauve, huile camphrée.

Quelques pots sont encore à demi remplis de poudres multicolores et scintillantes. Il me suffit de m'asseoir à la place qu'aimait à occuper mon père, derrière le petit bureau à cylindre abritant tous ses livres et ordonnanciers, pour rendre à la vie cette pharmacie momifiée.

II/

Mes premiers souvenirs autres que des impressions, des odeurs, des couleurs ou de brèves et fugitives images, plutôt incertaines, datent de cette année 1945. Ils sont liés à la fin de cette guerre qui ne fut pas la mienne sinon par les récits que l'on a pu m'en faire et qui sont entrés en moi comme des blessures, des « marques » héritées et héréditaires. Je suis né dans le temps de cette guerre et l'on disait beaucoup que ceux qui étaient nés dans cette période troublée et meurtrie l'étaient eux-mêmes quelquefois et qu'ils étaient nerveux et hypersensibles. Ce qui aurait expliqué pourquoi, bébé, je piaillais la nuit et je dormais le jour.

Nous avions à l'époque une bonne qui s'appelait Ernestine. Elle s'occupait de nous pendant que ma mère officiait à la pharmacie aux côtés de mon père (ou en son absence pendant la guerre). Nous adorions Ernestine qui venait du minuscule village de Luteaux, où les fermes s'éteignaient avec le jour et s'éveillaient avec le coq. Ernestine avait sa chambre, qui est toujours « la chambre d'Ernestine » et subissait avec le sourire nos plaisanteries d'enfants, nos caprices ou nos pleurs.
Ce jour-là, il y avait aussi à la maison la Mère Michel, la « laveuse » qui, dans la buanderie, faisait bouillir les draps qu'elle rincerait dans le lavoir car nous avions ? quel luxe ? un lavoir, ce qui la dispensait d'aller à l'un des lavoirs publics, hauts lieux de nouvelles locales, le linge entassé dans une lessiveuse, elle-même juchée sur une brouette. 
Soudain, au début de l'après-midi, alors que la Mère Michel se préparait à étendre son linge, mon père est arrivé en criant : « Les voilà, les voilà! ». Tous, nous nous sommes précipités à sa suite dans la rue.
Effectivement, « ils » étaient là : ils venaient de la Côte d'Azur, ils avaient traversé les montagnes de l'Ardèche et ils passaient chez nous : des jeeps, des chars, des soldats qui criaient et chantaient des mots pour nous intraduisibles, mais aussi des oranges et surtout du chocolat. Et des rires, des rires de joie, ceux des Français mêlés à ceux des Américains. Ils sont passés, ils sont partis, ils sont restés dans ma mémoire. Ils sont mon premier film. Avec un visage d'ébène, des dents si blanches, le regard et le rire du premier homme noir que je voyais et qui me soulevait jusqu'au ciel en m'embrassant.

Pour tous, ce défilé marquait la fin d'un long cauchemar. Pour certains ? je finirai par comprendre plus tard qu'ils étaient des collaborateurs, un mot alors aussi abstrait pour moi que le mot guerre ?, en revanche, c'était le début du cauchemar. Mais pour la majorité des Français, pour nous tous, au Monastier, c'était une renaissance affirmée et confirmée, une espérance retrouvée, une sollicitude et une compassion en moment réinventées.

Le second souvenir est directement lié au premier, et l'événement qu'il porte a dû succéder de peu de temps au défilé des Américains. Ma mère avait une sœur,  Hélène, de huit ans sa cadette, qui vivait chez ses parents, donc mes grands-parents maternels, place du Couvent. Je lui étais très attaché, je lui ai toujours été très attaché. Je devais avoir 7 ans. Elle emmena quelques jours, à Pâques, mon frère aîné à Saint-André de Chalencon, fief de son père, et je fus très mécontent qu'elle me jugeât trop petit pour que je les accompagne. 

Une autre fois, je me revois, en fin d'après-midi, assis sur mon fauteuil d'enfant ? un vrai fauteuil en bois et osier, modèle réduit. Je la regardais qui se coiffait avec le fer à friser, sorte de longue pince que l'on chauffait à la flamme. La mode était à une coiffure étrange, trois crans tubulaires sur le dessus, en étages, assez haut sur toute la longueur du front. Et légèrement bouclée, sans être frisée, la chevelure tombant en vagues sur les épaules. Je ne me souviens pas de sa robe, simplement l'impression de tissu à fleurs, je me rappelle très bien les chaussures à semelles compensées et mon étonnement admiratif et curieux que l'on pût marcher avec de pareilles estrades.
Ce jour-là, ma tante Hélène m'a emmené à mon premier bal. Il se tenait à la mairie qui occupe le premier étage sur piliers (on dit au Monastier « les piles ») et voûte de pierre, tout ce qui reste, restauré, de l'ancien couvent. Ma tante me tenait par la main, j'étais fier et intimidé. Dans la grande salle de la mairie, il y avait des tables chargées de fouasses et de pognes ? les brioches locales ? pleines et saupoudrées de sucre, ou en forme de roue, tourtées, des étagères où s'alignaient des verres et des carafes de vin blanc. Le phonographe chantait et tout le monde dansait. Sûr, c'était un très beau jour de fête et d'amitié, de paix retrouvée. Les gens étaient alors aussi gentils qu'ils en avaient l'air. C'est cela, sans doute, la sérénité. Celle qui ne se trouve qu'après le cataclysme, quand les hommes serrent les rangs. Moi, j'ai longtemps cru qu'il en serait toujours ainsi.

Plus tard, on m'a parlé de la résistance aux Allemands, et de l'épuration. Je crois que je n'ai pas compris pourquoi il fallait ajouter des morts aux morts. Et puis, était-on assuré de ne pas se tromper ? Je saurai plus tard que la justice des hommes est à leur image : floue, ternie trop souvent par leur esprit de vengeance et la mesquinerie de leurs motivations profondes. Je n'étais pas d'une nature rancunière, j'avais toujours peur en tout cas de mes certitudes spontanées et initiales qui, sitôt éprouvées, pensées ou établies, se morcelaient d'elles-mêmes, frappées de doutes, de questions, d'inquiétudes et de l'angoisse aiguë d'être trop radical dans mes jugements. 

À l'école aussi, on parlait beaucoup de la guerre. Je ne faisais pas grande différence entre celle qui venait de s'achever et celles que n'avait cessé de promouvoir Napoléon. Elles étaient « abstraites » elles aussi. À l'école, le terme « les leçons de l'Histoire » a un sens tout à fait immédiat, purement scolaire. Si on sait, on a une bonne note, et on est  tranquille. Si on ne sait pas, les ennuis commencent. Il m'a semblé très tôt que l'homme, s'il prétendait vouloir vivre en paix, pratiquait plus volontiers la guerre, surtout, évidemment, s'il était roi ou président. Et puis, on ne nous « expliquait » pas vraiment l'Histoire. Les dates suffisaient.

Avant d'aller travailler dans une pharmacie à Paris, ma tante Hélène venait nous voir pratiquement tous les après-midi. Ma mère m'a raconté qu'elle me trouva, un jour de printemps, alors qu'elle venait de visiter un de mes frères atteint de la varicelle, assis, pensif, dans la cour derrière la maison. Et comme elle me demandait pourquoi je restais là, pourquoi j'avais l'air si préoccupé, je lui aurais répondu : « J'attends la varicelle ».

Caractéristiques

  • Auteur Gérard Faure
  • Format 14,5 X 21 cm, épaisseur 11 mm
  • 136 pages
  • Prix AMIC 2004 de l'Académie Française

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