Auteur : Jacques BAUDOIN
BABELIO AVIS DES LECTEURS
Le plus souvent modestes, les croix du Bourbonnais ne sont pas moins détentrices d'un éloquent héritage. Une prospection raisonnée, tenant compte de la signification profonde de chaque monument, fait apparaître, en effet, un marquage historique d'une étonnante richesse qui défie les épreuves du temps. Au-delà de la destination ou de la forme des croix, par elles-mêmes si diversifiées, on peut y découvrir l'évolution de la sensibilité religieuse au cours des deux millénaires de notre civilisation chrétienne. Par cette approche assez inédite, c'est toute l'histoire d'une province qui est ici évoquée.
EXTRAIT
Largement réputé pour ses églises romanes et ses châteaux princiers, le Bourbonnais est beaucoup moins connu pour ses croix. Il est vrai que l'ancien et prestigieux duché a été la cible rêvée du vandalisme révolutionnaire et que le relèvement des monuments détruits y a été particulièrement tardif. Pourtant quelques bourgs de la Combraille ou du Bocage surprennent par le nombre exceptionnel de leurs croix. On compte 5 croix anciennes de pierre, à Colombier, mais le chiffre de 4 à 6 croix est également atteint, dans cet inventaire, à Saint-Bonnet-de-Four, Bourbon, Saint-Menoux et Franchesse. Dans certains cas, à Noyant et Rocles, c'est l'ancienneté du monument qui attire l'attention, d'autres fois, à Coust ou à Chappes, la rusticité fait place au raffinement. Quoi qu'il en soit, les conditions naturelles se trouvent réunies pour évoquer, au moins localement, les vieilles traditions dont la Bretagne reste le modèle. D'ailleurs le paysage lui-même se prête à ce genre de rapprochement : fier de ses attaches bourbonnaises, Émile Mâle n'hésitait pas à comparer la Combraille à "une Bretagne mélancolique, avec ses chemins bordés de haies et de vieux chênes". Plusieurs facteurs peuvent expliquer l'essor des croix bourbonnaises : l'héritage mégalithique et celtique, sensible à travers les menhirs, les tables des morts ou le culte des fontaines, l'implantation ancienne du christianisme, attestée par différents ermites ou abbés, comme saint Patrocle, saint Pourçain ou saint Principin, enfin la proximité de carrière de granite, de grès ou de calcaire, matériaux indispensables à la production et à la conservation des croix. Il n'en reste pas moins que l'éclosion des croix en terre bourbonnaise porte le reflet des grands événements historiques dont la province a été le témoin ou le théâtre. Tels sont l'impact de la croisade et la fondation des commanderies, l'émancipation des cités et l'obtention des chartes de franchise, l'héritage de saint Louis et la fascination de la croix-reliquaire de Bourbon, les péripéties de la guerre de Cent Ans, le temps glorieux des ducs, l'influence des épidémies (lèpre et peste), les avatars de la Généralité de Moulins, avec ses batailles ou ses moments de léthargie, l'effroyable carnage de la Révolution et la paix de la Restauration, l'horreur des guerres "modernes" et le rôle des missions. Ainsi, à travers l'histoire de la croix , dont la présence est parfois se discrète, c'est toute l'histoire d'une province qui peut être évoquée. Il suffit pour cela de prendre en compte, non seulement l'iconographie et les inscriptions de la croix, mais aussi son point d'ancrage qui a quelques chances de perpétuer un très lointain souvenir.