Auteur : Fernand RAMBION
Entre les Cévennes et la mer, le mas en ruines, comme un roc battu par la garrigue n'en finit pas de mourir. Reste ce que certains voudraient en faire et qu'on découvre dans le savoureux épilogue. Dans ce mas, Bernadette Merle et Sylvain Rouveyrol avaient choisi de vivre. Ils allaient probablement réussir, mais il fallu qu'interviennent les passions, les rancœurs et une implacable fatalité pour que tout bascule dans le noir. Simple et grave c'est un roman de la clarté, de l'honnêteté, du bonheur écorché, avec des personnages attachants qui vivent les blessures de la vie en terre d'Oc. En un récit pudique, c'est la fresque minutieuse des joies et des peines, des travaux et des jours, de la vie et de la mort d'un village languedocien.
EXTRAIT
« Autrefois, ces terres étaient culitvées ?
- Un champ s'étendait jusqu'à ce mur ».
Il pouvait en parler : un dimanche, en chassant, il y avait rencontré le Merle, par hasard.
« Le maître du mas, là-haut, se souvient y avoir vu de l'orge. Le fond était planté de mûriers. Des femmes venaient y chercher la feuille pour les magnans. Leurs chansons montaient jusqu'au mas.
- Les magnans ?
- Les vers à soie.
- Quel âge a-t-il ?
- Il est vieux.
- Il est seul ?
- Il a sa femme et sa fille.
- Qu'est-ce qu'elle fera de son mas ?
- On raconte qu'elle sera bonne sour.
- Toutes les terres de tous ces mas qui se sont perdues, c'est parce que les filles sont devenues bonne sœur ?
- C'est un pays difficile, tu le sais bien.
- Mais il a eu sa richesse. Comme d'autres que je connais avaient eu la leur. Ensuite, pendant des siècles, ils sont restés aussi pauvres, aussi désolés que celui-ci. Nous sommes arrivés avec une volonté nouvelle, des moyens nouveaux.
- Des moyens nouveaux ?
- Les moyens, cela se trouve, cela s'invente. Si seulement on savait en refuser certains.
- Et ils sont redevenus riches, aussi riches qu'autrefois ?
- Disons qu'ils produisent plus que jamais. Alors, pourquoi, oui, pourquoi ce que nous avons fait ailleurs vous ne pourriez pas le faire ici ? Mieux même. Mieux je pense. Parce que vous seriez des gens d'ici et que vous le feriez avec des gens d'ici ».
Elle avait ajouté, à voix basse, pour elle seule peut-être :
« Là-bas, je ne dirais pas que nous leur avons apporté pour autant le bonheur ». Le Merle avait ajouté, à voix basse lui aussi :
« Qu'est-ce que je pourrais y faire ? À mon âge , c'est trop tard... Et ce mas va finir avec moi, du moment que ma fille. »
