Auteur : Martine HERMANT
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Robert Merle avec sa série d'ouvrages « Fortune de France », avait ouvert la voie des romans historiques conservant le langage de l'époque décrite.
Martine Hermant remonte plus loin dans le temps an nous livrant une histoire du Moyen Âge où tendresse et violence traversent le récit.
Vous allez revivre avec Lysandre les joies les émois et les peurs qui peuplent son univers.
Vous approcherez avec inquiétude le sorcier Viez Garol et sa fille l'Herminia secondés par des loups, que craignent les villageois mais que ces derniers vont consulter pour être guéris de leurs maux.
Vous découvrirez la grande foire la Saint Ambroix de bourges et son animation au pied de la cathédrale, les tournois avec leur faste et leur violence, et puis la rencontre avec l'amour courtois que des dames de haute lignée professent pour essayer de réduire le comportement brutal des hommes.
Vous approcherez les « parfaits », pourchassés par la croisade des Français du Nord, leur calme et leur bonté qui séduira Anieuse, la suivante de Lysandre au cours du pèlerinage jusqu'à Orcival en expiation imposée par son époux et seigneur.
Une grande fresque animée qui vous tiendra en haleine au cours de ce voyage du Berry à l'Auvergne.
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EXTRAIT
CHAPITRE 1 LA DAME
« Point de plorerie... contretenir à si sotoarte feblece... »
Lysandre s'appliquait à garder les paupières closes.
« A Dieu ne plaise que Géraud merquie ma doliance ! »
Une haleine chaude lui effleura le visage, un baiser moite se posa sur son front, mais ce qu'elle redoutait ne s'enchaîna pas : Géraud s'éloigna de la couche. Elle osa l'observer entre ses cils : il enfilait sa chemise, sans se hâter, devant la présence discrète du valet, l'inévitable Pierre Bec-Clos qui avait déposé dans l'angle de la chambre une cuve fumante d'eau chaude pour les ablutions.
« Ne peut-il aller viaz ? Il alente a tot ses chausses... Quelle longuece pour desmetre cotte et surcot de la perche et s'en afubler ! Va-t-il départir, à la parfin ? Nenil... il reverte et s'aproismie derechef de la couche » Lysandre referma précipitamment les yeux et soupira doucement. Il se contenta de redresser le chevecier que Pierre Bec-Clos avait secoué sous la tête de son maître pour le tirer du sommeil.
Géraud se décida enfin à gagner l'oratoire voisinant la chambre, Pierre Bec-Clos disparut derrière lui en emportant le baquet. Lysandre put relâcher sa feinte. Elle ouvrit un regard trouble sur la pièce sombre.
L'effort qu'elle avait fourni pour paraître endormie avait sur l'instant engourdi son découragement qui, délivré maintenant de toute contrainte, put revenir à la charge avec plus de virulence pour avoir été entravé. Lysandre se laissa submerger par le flot brûlant des larmes qui jaillit librement pour inonder ses joues. Elle tenta vainement d'en endiguer le cours mais aucune nécessité ne se présentait pour l'y aider, pas même le remords d'avoir manqué aux trois signes de croix du réveil de la conscience. Elle se retourna face contre l'oreiller, étouffant ces humiliants sanglots, pensant brusquement que Margue-la-Mère ne devait absolument pas être témoin de sa défaillance ! Cette perspective, plus que tout, agit sur sa volonté. Essuyant fébrilement l'intimidante meschine et s'acquitta rapidement, quoique un peu tard, des signes de superstitieuse piété. L'autoritaire matrone intervenait habituellement peu de temps après que Pierre Bec-Clos ait averti la maisnie du lever du maître. Son apparition commençant sérieusement à se faire attendre, Lysandre supposa que Géraud avait donné des ordres pour qu'on la laissât reposer plus longtemps. Ceci ne manquerait pas de soulever les réflexions ironiques de Margue-la-Mère qui relevait chaque occasion de souligner la dolence de la jeune épousée... Mais Lysandre remerciait mentalement son époux du sursis qu'il lui octroyait. Ce répit lui permettrait sûrement de reprendre empire sur elle-même, avant d'affronter la nouvelle journée.
Elle entendit vaguement sonner prime, confuse de penser que chez son père, on n'eut pas toléré qu'elle laissât passer la messe en faisant fi de l'appel des cloches. L'exigence religieuse était moins sévère à Boisgésir où, si Géraud tenait à ses devoirs, il ne s'offusquait pas qu'on remplaçât la messe de prime par des heures dites avec application dans l'oratoire de la chapelle. Elle ne pouvait que s'en réjouir, non que ses pratiques de piété fussent relâchées, mais le jeûne prolongé jusqu'à la grande-messe de tierce la mettait à la torture.
plorerie : pleurs, larmes en abondance
contretenir : s'opposer, résister
sotoart : sot
feblece : faiblesse
merquier : marquer, remarquer
doliance : tristesse, affliction
viaz : vite
alenter : ralentir
tot (a) : avec
longuece : prolongation
desmetre : enlever
cotte : longue tunique portée par les deux sexes
surcot : vêtement long porté sur la cotte
afubler : vêtir
départir : partir, s'en allez
parfin (à la) : à la fin
nenil : non
reverter : retourner, revenir
aproismier : approcher, s'approcher de
chevecier : oreiller
meschine : servante noble
maisnie : ensemble des personnes qui habitent la maison, la grande famille avec les domestiques.
prime : 1ère heure du jour
tierce : env. 9 heures du matin