Auteur : Luce Lanfranchi
Photo : VPimentel
BABELIO AVIS DES LECTEURS
Un retour au pays, la découverte des Grands Goussiers et un étrange tableau du XVIe siècle ont incité l'auteur à se lancer dans ces mémoires d'un caïeu auvergnat.
Par cette fantaisie elle invite grands et petits à se promener des confins de la Chine jusqu'à l'Auvergne, à remonter le temps et à déambuler dans les cuisines des Maître queux qui ont honoré de leurs talents culinaires l'histoire de la France. Elle les incite à enrichir leur bibliothèque et engage les cuisiniers et les gourmands curieux à revisiter et à «mettre à leur carte» des recettes d'autrefois dont certaines ont plus de 5000 ans.
EXTRAIT
Sommaire ou table des matières
1e partie : Le vécu de mes aïeux
9 D’où venons-nous ?
11 Nos premiers compagnons
13 Histoires de coin du feu
17 Pérégrinations familiales en Mésopotamie
23 Quand l’histoire vécue de l’un d’entre-nous s’écrit
27 On quitte les terres pour la mer
29 En route pour Marseille
33 L’arrivée en Gaule
35 A nous l’Auvergne !
37 Quand les caïeux se frottent aux bacheliers
41 Le Roi, l’Eglise, les jésuites et mes aïeux
43 L’expulsion des jésuites d’Auvergne. Le responsable : un tableau
47 Quelques amis fidèles
51 Quelques souvenirs de tables
2e partie : Recettes de cuisine
59 Recettes de cuisine Recettes d’il y a 5000 ans
61 Recettes du début de notre ère
63 Quelques recettes médiévales du Mesnagier de Paris
67 Quelques recettes de Taillevent Le maître queux du roi Charles V le Sage
69 L’ail selon Platine et quelques recettes Pour les cuisines des XVe et XVIe siècles
73 Cuisine du XVIIe siècle : recettes de La Varenne
75 Cuisine du XVIIIe siècle : recettes du Gascon
81 Cuisine du XVIIIe siècle : quelques sauces de Marin
91 L’ail et le chapon d’Alexandre Dumas
93 Définitions picorées de-ci de-là
94 Liste des recettes
Pour cette dernière audace, il fut tout de suite puni. La première expression de cet art lui valut une terrible désillusion. Pressé de faire partager cette gourmande découverte, il invita pour un dîner intime l’aguichante déesse Inanna. Le repas fut bien arrosé, un peu trop même, car la traîtresse en profita pour lui voler certains de ses pouvoirs, dont le plus merveilleux, celui de cuisiner, c’est-à-dire celui de la connaissance. Cette friponne d’Inanna, déesse généreuse, usa sans retard de son récent savoir-faire et donna la première civilisation à la ville d’Ur. C’est tout au moins ce que racontent certaines tablettes. Mais avant de revenir à l’histoire de ma famille, sachez que ce Palais de l’Abîme, dit d’Apsu, ne vous est pas aussi étranger que vous le pensez. C’est sur le modèle du temple haut de la ziggourat, de ce palais de l’imaginaire, que fut construite la Tour de Babel. Ce lieu de rendez-vous où les dieux du ciel et de la terre festoyaient ensemble et arrêtaient d’un commun accord leurs missions et les destins du monde. Lourde tâche, l’ordre du jour devait être chargé et les débats animés. Quoi qu’il en soit, cette tour de Babel était un lieu saint et non cet endroit de perdition que de mauvais esprits ont fait de lui.
Quittons cette tour mythique pour le caravansérail et les rues de Mari. Ainsi, pour les Mariotes et les voyageurs, c’est grâce à Ea, dieu qu’ils honorent tous les jours, qu’ils trouvent sur les étals des boutiques de la cité, les viandes, les fruits, les légumes et les épices dont l’abondance et la diversité rendraient jaloux les marchés orientaux d’aujourd’hui. Et ils savent que c’est à une des faiblesses de ce dieu des dieux qu’ils doivent de savoir sécher, saler, confire ces aliments et de pouvoir, à leur grande joie, entendre dans les cabarets les récits des voyageurs, en buvant un pot de bière ou de vin. Et ils ne s’étonnent plus de pouvoir accompagner leurs libations de fromages et de « mezzés » grands ou petits selon leur bourse. J’arrête là ma discrète incursion dans le monde gastronomique sumérien.
L’histoire que vous avez eu la patience de lire jusque-là est, assurément, un bouquet de plusieurs mémoires de caïeux. Composition élaborée par ces familiers des humbles et du monde végétal qui ont reçu la faculté de pouvoir accaparer cette mémoire familiale. Tâche lourde et périlleuse quand il s’agit d’être sélectif. Epreuve d’autant plus dangereuse que nous sommes soumis, comme vous tous d’ailleurs, aux récits des vieilles tantes bavardes à l’imagination fantaisiste et confuse, et à ceux d’oncles aussi grandiloquents que vantards. Vous avez deviné que j’ai bénéficié de ces défauts et de ce privilège d’être un écho de mémoires et que, pour mon malheur, je ne peux relater qu’une infime partie d’une mémoire de caïeu déjà très limitée en soi et restreinte par l’espace domestique où je suis cantonné.