Auteur Philippe ROUCARIE
BABELIO AVIS DES LECTEURS
Ils étaient nés le même jour, avaient grandi de concert, connu ensemble les émotions de l'enfance, choisi ce que serait leur destin. La fin de la première guerre les avait réunis, la fin de la suivante les avait séparés. L'enthousiasme de leur jeunesse avait été soumis à la rude école de l'existence. Des années durant, avec le même courage, la même persévérance, la même volonté, ils avaient affronté les tempêtes des mauvais jours. Et aujourd'hui, le miracle qui les avait rassemblés au départ les ramenait à nouveau dans ce village aimé. S'il était, en apparence, demeuré semblable à leurs souvenirs, leur monde, en une vie avait davantage changé qu'en vingt siècles. Mais ils en étaient sûrs : les petits à qui, en ce début de millénaire, ils passaient le témoin, seraient dignes d'assurer la relève.
Extrait
François, naturellement, était en charge de sa classe. Il a souri doucement notre complice, persuadé qu'avec l'expérience des entraînements au tableau noir il aurait vite mis sa chorégraphie élémentaire où chacun trouverait son bonheur. Il se voyait même en tête de la troupe... Il faut croire qu'il avait surestimé et la clarté de ses explications et les facultés d'attention de ses élèves car au bout de quelques secondes, invariablement ceux qui devaient se trouver à l'arrière se pavanaient sur le devant, un côté était vide et de l'autre se bousculaient Lala et le grand Léon qui, pour bien moins en seraient venus aux mains. Il recommençait encore et encore. A la troisième séance, il leur aurait jeté les chaises ? Ce n'est que plus tard qu'il comprendrait. L'ordre importait peu. Il n'importait même pas du tout. Par le simple fait que les enfants occupaient la scène, les parents étaient tous là et tous, sans exception, ne remarquaient que leur progéniture, la cohue étant à l'évidence, comme il en est toujours dans la vie et pour toute chose, la faute de l'autre. Et surtout il apprendrait que tout figurant cache un cabot ? La fête avait été belle, le temps exceptionnel, la recette acceptable. Restait l'essentiel : le voyage. Déjà avec la mine, la date avait été évoquée : ce serait la semaine du Quatorze Juillet. Le but se murmurait mais jamais la question n'avait été franchement abordée pour ne pas indisposer le sort. Avant, tous voulaient rêver, maintenant ils pouvaient organiser. La réunion a été d'enthousiasme et lorsqu'il a été décidé qu'ils partiraient pour deux journées entières de très tôt le matin à très tard le lendemain soir chacun a pensé que le bonheur était là, récompense d'une année d'efforts et de doutes. Mais plus que tout était le but et François a eu l'impression que tous ou presque avaient les mains moites et les yeux humides : « On va au bord de la mer !? » Il faut imaginer. Personne ou presque ne l'avait vue ? Elle était pour eux un mirage ? Il n'y avait aucune image parlante ? Il y avait la vue figée d'un livre de la bibliothèque ? Et tout de suite la question a fusé : « Où ? »