Auteur : Ernest MONTUSÈS
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"Germinal" au coeur de la France
Lorsque ce roman fut écrit, on était au premier printemps de la Grande Guerre. Printemps sacré ! Les nations procédaient aux derniers sacrifices, immolaient leurs armées, « ne comptant plus sur les forces humaines, attendant tout leur succès des destins ». Fin mai, l'offensive germanique paraissait irrésistible. Il n'était plus permis « aux femmes même de verser des larmes ». Les pages de ce roman étaient des pages d'espoir. L'écrivain pensait ce que pensaient « les grandes masses silencieuses » du pays, saisies par l'angoisse et reprises par la vie, allant du labeur à l'amour, vivant intensément et atrocement cette période inouïe de l'Histoire. L'Âge de Fer, les temps maudits, nul ne doit plus les revoir, et c'est parce que ce roman tend à noter les traits disparus d'une époque ? celle des régions industrielles du coeur de la France pendant la Grande Guerre, que son intérêt est particulier. D'autres écrivains comme Zola ou Victor Hugo ont décrit à d'autres époques et dans d'autres régions laborieuses ces temps maudits. Il était important que les douces campagnes bourbonnaises conservent aussi dans leur mémoire collective le souvenir des drames que le monde industriel de la Guerre de 1914 avait suscités dans le XXème siècle débutant.
EXTRAIT
Constance échappait à Clément. La poursuite dans le bois, dont le souvenir restait si douloureux pour lui, continuait à travers la monotone forêt des jours. Vainement, il essayait de joindre la jeune fille, d'être seul un moment avec elle, d'avoir la minute nécessaire à formuler un compliment, à déposer un hommage. Elle s'arrangeait de manière à sortir de l'usine toujours accompagnée. Dès lors, elle ne montrait aucun embarras.
Elle venait même à lui, les yeux rieurs, dans l'eurythmie de sa marche souple qui semblait déceler une joie continue de vivre, d'être désirée et de se refuser. Elle semblait même libre et franche dès qu'elle se sentait garantie par une présence étrangère qui paraissait la protéger plus contre elle-même et ses propres faiblesses que contre les tentatives de l'homme.
Clément souffrait horriblement de cette contrainte. Il lui semblait qu'il avait mille choses à dire et que ces choses auraient pour leur destinée à tous deux des conséquences incalculables. On lui eût accordé des heures d'intimités, en en fixant la limite, que d'avance, il les aurait crues insuffisantes. Il voulait, dans ce besoin continuel qu'ont les amoureux sincères, revenir au passé, revivre l'histoire de sa passion, faire défiler les images précises des rencontres, entendre de nouveau les mots prononcés et surtout les interpréter, connaître les sentiments qui les avaient dictés, interroger.
Si j'avais seulement quelques minutes, se surprenait-il à murmurer.