Auteur : Anne Comtour
Préface : Élise Fontenaille
Des concerts secrets, nocturnes, au palais ducal. Exclusifs, réservés à un auditoire soigneusement trié. Musique de femmes, beautés irréelles, voix angéliques, instrumentistes virtuoses d’un style nouveau, jamais ouï.
Ce sera l’héritage du duc Alphonse, qui n’engendrera jamais d’enfant charnel et qui tient au secret.
Cependant cette musique secrète, interdite de publication, arrive soudain jusqu’à nous.
De sa plume vive, alerte, piquante, Anne Comtour nous happe et nous entraine dans les dédales d’une Italie sœur de la France, unies par la Renaissance, entre complots venimeux et beauté absolue.
Musique, maestra ! Viva, viva la musica !
Préface
Mélomane de mère en fils…
Alphonse II d’Este, fils d’Hercule et surtout de Renée de France, baigna depuis l’enfance dans les fastes d’une cour éclairée, celle de Ferrare, où l’on aimait à la folie les arts et où l’on protégeait les artistes.
C’est tout naturellement qu’Alphonse devint à son tour un grand mécène, avec une nette inclination pour la musique, qui lui emportait l’âme jusqu’au ciel, et même au-delà.
Le duc de Ferrare, pourtant marié moult fois, n’eut pas l’heur d’avoir oncques descendance.
Sa dernière épouse étant presque une enfant quand il l’épousa - elle avait à peine quinze ans – pour la distraire et lui charmer l’oreille, il décida de créer un délicat ensemble de femmes musiciennes, cantatrices et compositrices de grand talent… « Gorges virtuoses », ainsi que les qualifie joliment Anne Comtour (ne pas confondre avec « Gorges profondes », aucun rapport).
Cet ensemble, destiné avant tout au plaisir de sa jeune épouse, où les voix et les instruments allaient d’amble, ce sera son enfant à lui : trois filles d’un coup – et quelles filles ! - Une triplette virtuose… Livia, Anna et Laura, sous la houlette de Tarquinia, elle-même compositrice et chanteuse de premier rang.
Les trois élues jouaient à la perfection de la harpe, du luth, de la viole et du virginal, et chantaient à ravir, composant pour le couple ducal une musique gracieuse, précieuse et délicieuse, envoûtante…
Ces concerts exquis avaient lieu surtout la nuit, dans la pénombre de charmants salons cramoisis.
La cour du duc était en ce temps-là le creuset d’une musique nouvelle, d’avant-garde, où les voix et les instruments se mêlaient comme jamais, préfigurant déjà le grand opéra.
Ces concerts avaient donc la particularité d’être destinés uniquement au duc et à son tendron d’épouse, plus quelques rares esthètes.
En principe, après la mort du duc, ils auraient dû être happés par l’oubli…
C’est par hasard qu’Anne Comtour, chanteuse et harpiste elle-même, découvrit l’existence des dames de Ferrare et de leur musique : un CD à leur art consacré - une douzaine de leurs partitions ayant été sauvées in extremis de l’oubli - chez un disquaire éclairé, dans l’une de ces boutiques obscures qui font le régal des connoisseurs.
Charmée par ce qu’elle ouït, elle eut l’envie irrépressible d’en savoir plus sur ces dames de Ferrare, puis de nous conter leur histoire.
De sa plume vive, alerte, piquante, elle fait revivre Anna, Laura, Livia et Tarquinia, et la brillante cour de Ferrare.
Ce gracieux livret est à déguster comme une gourmandise, en écoutant la musique ornée et puissante, troublante et délicate, de ce vibrant trio, doté de toutes les grâces.
Musique, Maestra !
Viva, viva la musica !
Élise Fontenaille
Prologue
Moi, Alphonse II d’Este, cinquième duc de Ferrare, je vais créer un trio musical inédit. Ni la France, ni l’Italie, la Perse ou les lointains empires du Levant n’en ont jamais possédé de semblable.
Un concerto de femmes. Car les femmes et la musique incarnent la beauté. Or la beauté se perd à se vouloir divulguer. Cet ensemble restera donc secret.
Me voici à mon troisième mariage et sans descendance. Marguerite de Gonzague a quinze ans, elle vient d’un milieu mélomane et raffiné. J’ai peur qu’elle ne s’ennuie et me méprise, moi et mes quarante-six ans.
Réunir pour elle ici un concerto de dames, c’est m’assurer au moins sa gratitude. Son sourire et sa fidélité m’importent, mais plus encore son contentement. Et le rappel quotidien de ce qui nous unit. Or, à elle comme à moi, la musique est chère.
Je choisis trois jeunes femmes dont la voix, la beauté, la perfection musicale m’ensorcellent. Voix, harpe, luth, viole… leur maîtrise est parfaite, leur harmonie céleste : en effet c’est par la beauté que l’on atteint le ciel, les sphères divines. Car elle est le reflet du monde idéal, du séjour des dieux. Cette musique et celles qui nous la donnent, c’est la beauté absolue.
Les récitals seront réservés à Marguerite et à moi-même. J’y admettrai à ma guise en comité réduit mes courtisans les plus fidèles et leurs épouses, leurs proches les plus férus de musique et de beauté. Également des dignitaires de haut rang et fins mélomanes : nobles, souverains, ambassadeurs d’autres pays… toujours en nombre restreint.
Cet ensemble se produira à ma demande, en des lieux choisis par moi, non révélés à l’avance.
Les pièces de musique ne seront pas publiées, sauf avis contraire de ma part. Elles resteront la propriété de la cour des Este à Ferrare.
Je sais que le secret va transpirer, intriguer… Viendront admiration, jalousies, peut-être copies… Ma ville, mon nom, ne peuvent qu’y gagner en prestige et rayonnement !
Nul auditoire ne fut, ne sera jamais aussi étroitement lié dans le mystère et la splendeur.