Auteur : Luc BERGOUGNOUX
4e de couverture
Au creux d’une vallée isolée, cernée par les pentes abruptes auxquelles s’agrippent les conifères et les maigres pâtures, se nichent le village de Desges et l’ancienne seigneurie du Bois Noir. En octobre 1934, la quiétude de ce bout du monde est soudainement bouleversée par des événements de nature à troubler bien davantage que la digestion des écureuils. Camille Defaux, adjudant de gendarmerie à Langeac, se voit alors contraint de s’immerger dans les secrets d’un microcosme figé par les pesanteurs du passé autant que par un hiver trop précoce.
EXTRAIT
PER COMMENCAR
Ce fut d’abord une odeur. De celles qui surgissent parfois de la mémoire, de ces évidences olfactives qui réveillent irrésistiblement les souvenirs. Elles surprennent, imposent leur puissance évocatrice, figent le présent qui s’efface devant les portes béantes du passé. Elles ont parfois l’évidence d’un pop-corn de salle obscure ou de l’after-shave paternel mais savent aussi être subtiles, combiner les fragrances, offrir en un flash unique une synthèse d’émotions. Alors, plusieurs jours sont souvent nécessaires à décrypter la combinaison, à ouvrir le coffre qui libère le trésor.
Elle m’a saisi alors que je visitais une cave des environs de Sancerre. Au minéral de la pierre et de la terre battue, au végétal du bois humide et du marc de raisin se mêlaient des vapeurs d’alcool ainsi qu’une note humaine mariant tissu de velours et eau de Cologne. Je n’ai rien retenu de la majesté des lieux, de la verve du propriétaire, des fûts de chêne rutilants, pas même de la subtilité du breuvage. Je cherchais, feuilletais fébrilement les albums enfouis, craignant que cette présence familière ne se dissolve brusquement dans le présent. Je guettais cet instant que j’espérais proche où le parfum libère les images auxquelles il s’attache.
J’avais soudain à nouveau dix ans et me tenais près de mon grand-père penché au dessus de trois tonneaux cerclés de fer.
Nous étions entrés presque par effraction dans ce lieu interdit dont j’imaginais qu’il renfermait de fantastiques secrets. Une énorme clef ouvrait la porte massive et toujours close. Bien sûr, j’avais à de nombreuses reprises risqué un oeil au travers de la serrure. À chaque fois, mon regard ne rencontrait qu’un clair-obscur laiteux dans lequel dansaient des particules de poussière. La fascination que m’inspirait l’endroit ne tenait en rien à son allure. C’était un simple réduit, mais qui présentait l’immense intérêt d’être interdit.
Lorsque nous entrâmes, enfin, dans un inquiétant grincement métallique, l’endroit m’évoqua davantage l’atmosphère d’une prison que celle d’une alcôve cachée préservant un trésor. Un étroit soupirail n’autorisait qu’un timide trait de lumière qui se perdait dans la poussière du sol laissant dans la pénombre les murs de pierre au trois-quarts enterrés. L’été demeurait au dehors, chassé de ce lieu qui ignorait les saisons.