Auteur : Luc BERGOUGNOUX
Éditions DU ROURE
BABELIO AVIS DES LECTEURS
'"Douze ans après l'armistice, dans la vallée du haut Aliier, la Grande Guerre s'obstine à martyriser les âmes. Un géant blond réfugié dans un ermitage abandonné, une vieille guérisseuse un peu sorcière et un enquêteur empêtré dans ses souvenirs... Aussi bien que les imasses des villes, les frondaisons des forêts offrent parfois un asile précaire aux marginaux. Qu'ils tâchent de s'y perdre ou de trouver des chemins nouveaux, chacun laisse une trace, sombre ou bien lumineuse. Leur pas soulèvent alors les poussières de l'Histoire réveillant au passage quelques démons dont il est malvenu de troubler le sommeil".
Après "le soldat perdu", Luc Bergougnoux poursuit sa volonté d'éclairer, par la fiction, le lourd héritage de la Première Guerre mondiale. Il nous invite à nouveau à suivre dans son enquête les tribulation peu académiques de Camille Defaux.
EXTRAIT
« On incarne jamais vraiment les ombres
qu'on projette en traversant ce monde. »
Salt river James Sallis
PER COMMENÇAR
Les enfants sont des architectes. Ils peuvent, en fermant les yeux, bâtir les plus hautes tours, dresser des ponts au-dessus de précipices vertigineux, concevoir des palais dont eux seuls possèdent les clés. Si des monstres viennent parfois s'immiscer dans les dédales de leurs cités intérieures, ils savent aussi les en chasser, fidèlement épaulés dans leur tâche périlleuse par un héros en armure qui, retirant son heaume, dévoile le sourire réconfortant de papa. Devenus grands, leurs souvenirs de ces aventures fantastiques se réfugient dans les méandres de la mémoire, cédant la place aux contingences matérielles du quotidien. Mais parfois, alors qu'on les croit à jamais évanouis, ils surgissent et s'imposent à nouveau, nous ramenant en un subtil voyage vers ces Atlantides intérieures. Il existe des endroits qui, plus que tous autres, sont à même de ressusciter cet imaginaire.
Il en est un où je reviens parfois, sachant y trouver immanquablement cette liberté vagabonde dissimulée parmi les fougères.
Un après-midi d'été, ne sachant probablement que faire de son marmot désœuvré, ma mère me proposa une expédition au cœur de la forêt, sur les traces d'un ancien ermitage depuis longtemps déserté par ses occupants. À elle seule, la perspective de la quête me fit endosser le costume des explorateurs téméraires s'enfonçant dans les jungles les plus hostiles pour y découvrir temples et pyramides regorgeant, comme il se doit, de trésors oubliés. Il fallut d'abord grimper longtemps, suivre les chemins empierrés, à l'ombre rafraîchissante des pins sylvestres et des châtaigniers. La chaleur estivale, conjuguée aux efforts imposés par l'ascension, ne faisait qu'accentuer le caractère épique de l'expédition. Je m'autorisais néanmoins des haltes régulières venant rompre le caractère romanesque du voyage. Le sous-bois regorgeant de fraises et de framboises sauvages, leurs couleurs vives m'attiraient irrésistiblement, la gourmandise m'éloignant momentanément de mes préoccupations d'archéologue en herbe. Après un ultime raidillon, ma guide m'informa que nous touchions au but.
De prime abord, l'endroit me parut parfaitement anodin. La mousse, les myrtilles et les fougères colonisaient la petite terrasse creusée à flanc de coteau. Très vite, de petits éclats lumineux attirèrent mon regard. Je découvris alors des amoncellements de pierres taillées dans le granit dont les plaques de mica réfléchissaient les rayons du soleil qui, transperçant le rideau végétal, parvenaient à se frayer un chemin jusqu'au sol. Je fus d'abord désappointé par une visite loin de répondre aux attentes de l'expédition. J'eus beau inspecter l'ensemble du site, fouiller la végétation, soulever les pierres les moins lourdes, je ne trouvai que cailloux et poussière. Pas de pièces d'or, aucun coffre empli de parchemins précieux, pas même un outil rongé par la rouille ne vint étancher ma soif exploratrice.
Ce n'est qu'au retour que je perçus les opportunités imaginaires que m'offrait cet endroit. Il y avait d'abord la conviction de posséder désormais un secret nouveau dont je devenais un des rares gardiens. Il me suffirait de grandir un peu pour exhumer les merveilles dissimulées au cœur des gravats. Il existait sans doute une carte, grossièrement tracée par un moine agonisant, capable de guider son heureux propriétaire jusqu'à l'emplacement d'un trésor mystérieux. Je trouverai probablement ce parchemin, glissé dans une bouteille, dans le tronc creux d'un arbre, à proximité de l'ermitage. Je pouvais aussi voyager au cœur de la vie de ceux qui s'étaient succédés sur le site. En leur compagnie, j'affrontais les dangers de la forêt. Le plus périlleux de tous consistait, naturellement, à chasser les loups qui, depuis que je connaissais l'histoire de la bête du Gévaudan, ne pouvaient être qu'énormes et affamés. Pour la survie quotidienne, je les accompagnais vers les endroits où je savais pouvoir dénicher champignons, noisettes, châtaignes et autres fruits sauvages. Je pourrais même leur indiquer, caché parmi les ronces, l'emplacement de la source qui, à quelques pas de l'ermitage, délivrait en permanence une eau fraîche descendue de la montagne.
Ces moines devaient aussi être un peu sorciers, détenteurs de formules magiques capables de me rendre invisible pour échapper aux punitions ou de faire surgir des monstres dans les cauchemars de camarades de classe indélicats. Il existait probablement un grimoire renfermant les recettes oubliées d'un temps où tout me paraissait possible. J'avais un monde à explorer et j'ignorais alors que cette perspective allait longtemps nourrir mon imaginaire.
